Sport et esport : des activités différentes, le même besoin d’encadrement
Véritable phénomène de société, l’esport, ou sport électronique, s’impose dans le paysage économique, socioculturel et sportif français. Avec plus de 10 millions d’adeptes, toutes pratiques confondues, l’État se positionne désormais en faveur d’un développement « éthique » de cette discipline.
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L’esport, un sport comme un autre ?
Traditionnellement associés au fameux triptyque violence-désocialisation-addiction, le jeu vidéo et l’esport sont souvent accusés d’encourager un comportement sédentaire. Des études récentes démontrent néanmoins le contraire. Le baromètre 2019 publié par France Esports met en avant le fait que les joueurs de sport électronique ont davantage tendance à pratiquer une activité physique et sportive que la moyenne de la population française. De la même manière, ils sont plus nombreux à lire, à se rendre au musée, au cinéma ou à assister à des événements sportifs. L’esport s’intègre donc dans une variété de loisirs socio-culturels, bien loin de la caricature du joueur sédentaire et désocialisé.
POur autant, l'esport doit-il etre considéré comme un sport à part ENTIÈRE ?
Ce débat s’explique notamment par la compréhension du mot sport qui se résume bien souvent à la simple dépense énergétique et à l'engagement corporel. Notons que d'un point de vue sociologique, la définition est plus complexe. S’ajoutent à la simple notion d’engagement corporel celles de compétition et d’institution. Ainsi, le simple joggeur courant de manière occasionnelle, dans un but purement personnel et non compétitif, apparaît davantage sous le terme de pratiquant d’une activité physique que sous celui de sportif.
LE SPORT NE SE RÉSUME PAS À L'ENGAGEMENT CORPOREL
On y trouve d’autres variables comme le principe de compétition ou d’opposition ainsi que la présence d’une institution encadrant et réglementant l’activité. Cette approche nous permet ainsi de concevoir l’esport comme une pratique sportive, à l’instar du jeu d’échecs qui est reconnu officiellement comme tel depuis 1999 par le Comité International Olympique.
un entrainement régulier nécessaire
Les compétitions de sport électronique s’organisent dans un cadre normé et régi par une institution, représentée par les différentes ligues, les organisateurs de tournois ainsi que les éditeurs de jeux. Bien que la dépense énergétique dans le sport électronique reste relativement faible, le corps n'est pas en dehors de l'action mais bien au coeur de la pratique. L’esport nécessite des capacités physiques qu’il convient de perfectionner au travers d’entraînements réguliers. Cela concerne principalement la dextérité manuelle, l’élément essentiel qui permet de distinguer objectivement et par simple observation le novice de l'expert. Cette dextérité se mesure notamment avec les Actions Par Minutes (APM). Bruno Berthier et Lucie Parisot, chercheurs en psychologie, prennent l’exemple du jeu Warcraft 3 : si un joueur ordinaire ne dépasse pas les 50 APM, un joueur entraîné pourra quant à lui atteindre les 300 APM et donc être beaucoup plus performant. « Pour atteindre un tel niveau, il y a d’abord des capacités innées du joueur, mais aussi un entraînement de plus en plus poussé plus le niveau est élevé » indiquent les deux chercheurs.
sport et esport, du sport spectacle
Au-delà de l’aspect compétitif, on remarque également un certain nombre de similitudes entre les deux univers. On peut notamment citer le phénomène de sport-spectacle que l'esport s'est réapproprié en proposant de véritables shows lors des compétitions, mais également le format des compétitions et le calendrier des rencontres qui s'inspirent largement du modèle sportif. Le sport électronique est reconnu officiellement comme un sport olympique de second niveau en Corée du Sud et ses pratiquants sont devenus des athlètes à part entière aux États-Unis, au même titre que les sportifs évoluant en NBA ou NFL. Certaines universités américaines octroient d’ailleurs des bourses d'études aux meilleurs gamers, de la même manière que pour les sportifs d'élite, afin que ceux-ci représentent les couleurs de leur institution. De plus, l'esport n'est pas seulement pratiqué, il est également regardé. Ce phénomène, relativement récent, a été rendu possible notamment par le développement des plateformes de streaming sur internet comme Twitch. Les audiences sont colossales. La finale des derniers Mondiaux du jeu League of Legends a été suivie en direct sur internet par près de 44 millions de personnes à travers le monde.
Sport et esport évoluent en parallèle, n’ayant pas vraiment besoin l’un de l’autre pour exister. Pour autant, les rapprochements existent et des échanges entre les acteurs de ces milieux se développent, incluant notamment le Comité International Olympique. Verra-t-on un jour de l’esport aux Jeux Olympiques ?
UN BESOIN D’ACCOMPAGNEMENT
L’esport est souvent présenté sous l’angle de la pratique compétitive et élitiste des jeux vidéo, mettant en avant la scène professionnelle. Se pose néanmoins aujourd’hui la question de l’accompagnement des millions de joueurs amateurs pratiquant un esport ludique, avec ou sans classement.
Cette pratique échappe aujourd’hui encore à tout contrôle. Les joueurs, de plus en plus jeunes, malgré les restrictions d’âge imposés par certains jeux, découvrent l’activité en dehors de tout cadre. Les parents sont souvent bien dépassés, tout comme les enseignants ou encore les éducateurs socio-sportifs. Ces derniers ne sont pas formés pour appréhender cette pratique et prévenir ses éventuelles dérives.
Depuis 2016, l’Etat se positionne et souhaite faire de la France un « territoire d’esport » d’ici à 2025, comme l’a déclaré Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du numérique. Au-delà de la structuration de l’écosystème professionnel, la stratégie présentée par l’Etat prévoit également de développer et d’accompagner « une pratique responsable et socialement valorisée ». Si la volonté de l’Etat semble claire, la mise en place d’actions concrètes reste encore floue. La solution se trouve probablement du côté du mouvement associatif. Massivement implantées sur l’ensemble du territoire, les associations, notamment sportives, pourraient participer à l’accompagnement de cette pratique. Des sections dédiées pourraient y être créées ainsi que des ponts permettant le rapprochement des pratiques sportives et esportives. Les professionnels du sport et de l’animation, pourraient être formés pour encadrer cette nouvelle discipline. Un diplôme d’Etat est d’ailleurs en train de voir le jour en ce sens. Le CFA Futurosud et le Comité Régional Olympique et Sportif de la région PACA mettent en place un BPJEPS Activités Physiques pour Tous comprenant un module de spécialisation sur l’esport. Les titulaires de ce diplôme d’un nouveau genre auront ainsi une double compétence et un titre, validé par le ministère des Sports, permettant l’encadrement d’une pratique responsable de l’esport.
L’exemple de la pratique féminine
Parmi les enjeux auxquels doit faire face le monde du sport électronique, la promotion d’une pratique plus féminine figure parmi les priorités. Si près d’un joueur de jeu vidéo sur deux est une joueuse, l’esport apparaît comme un univers singulièrement masculin. On constate en effet que les femmes y sont largement sous-représentées et cela est d’autant plus vrai quand on s’intéresse à la sphère la plus élitiste de ce secteur.
Selon France Esports, 90 % des joueurs amateurs qui pratiquent l’esport de manière compétitive seraient des hommes. L’obstacle principal relève de l’ordre sociétal et non physiologique. Aucune étude ne démontre que cet aspect représente un marqueur différenciant le niveau de pratique entre hommes et femmes dans le sport électronique. La construction est plus ancienne. Le jeu vidéo a été historiquement « marketé par les garçons et pour les garçons », précise Nicolas Besombes, vice-président de France Esports. Traditionnellement, les personnages incarnés au travers des jeux vidéo étaient des hommes ou renvoyaient à une figure virile, puissante voire violente. L’univers de ces jeux tournait bien souvent autour de la guerre, de l’aventure ou encore du combat et la figure masculine était, semble-t-il, plus appropriée pour permettre aux joueurs de s'identifier à leur avatar. Dans ces jeux, la femme, lorsqu’elle était représentée, occupait bien souvent une place secondaire ou celle de la « demoiselle en détresse », cliché repris à outrance dans la littérature puis le cinéma avant d'être utilisé comme procédé narratif dans les jeux vidéo.
Pour autant, les femmes ont toujours participé aux compétitions de jeux vidéo, même avant l’apparition de l’esport. Sa popularisation et l’ouverture de cette pratique au « grand public » a simplement permis de mettre le doigt sur l’existence d’un réel déséquilibre. L’esport, pratique mixte sur papier, ne laisse en réalité que peu de place aux femmes, notamment sur la scène professionnelle. Dès lors qu’une joueuse gagne en visibilité, elle s’expose à du sexisme et des insultes de la part d’une communauté, souvent décriée comme toxique, qui profite de l’anonymat relatif offert par internet. La volonté du gouvernement de promouvoir un esport éthique et responsable passera inévitablement par l’éducation au rapport à l’autre sur internet dès le plus jeune âge.
À propos
Contraction des mots anglais electronic et sport, l’esport fait référence à la branche compétitive des jeux vidéo. Si l’aspect ludique est l’élément central de ces derniers, le sport électronique met davantage l’accent sur l’optimisation des performances et l’adversité entre joueurs. Bien que souvent présenté comme une pratique émergente, l’esport est pourtant apparu il y a maintenant plus de 20 ans. Les premières traces de compétitions de jeux vidéo remontent aux années 70. Il aura néanmoins fallu attendre la fin du 20e siècle pour voir apparaître les premiers championnats et ligues professionnelles, comme la Cyberathlete Professionnal League (CPL). Le terme de sport électronique apparaît à cette période. Durant près de 10 ans, l’esport reste une activité de niche qui continue d’exister en vase clos. L’année 2008 vient marquer un tournant : l’émergence des plateformes de diffusion sur internet comme Youtube et Twitch, permet à l’esport de gagner en visibilité. Les audiences grandissent, le nombre de pratiquants également, alimentant ainsi l’industrie d’un secteur naissant. Deux jeux, Starcraft II et League of Legends, vont venir asseoir la popularisation de l’esport. Ces titres rassemblent alors des millions de joueurs à travers le monde. Au début des années 2010, on assiste à une professionnalisation de l’écosystème esportif. De nouveaux investisseurs privés contribuent au développement de ce marché ainsi qu’à la spectacularisation de l’esport. En 2014, Amazon rachète la plateforme de streaming Twitch, qui diffuse essentiellement du sport électronique, pour 1 milliard de dollars.
Le marché du sport électronique est en plein essor, il devrait atteindre les 1,6 milliards de dollars d’ici à 2021. L’avènement de l’esport est intimement lié à la révolution numérique et au développement d’internet. Les joueurs peuvent désormais s’affronter à travers le monde, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Le salaire des joueurs professionnels et les gains qu’ils se partagent lors des tournois rivalisent aujourd’hui avec ceux du sport professionnel. A titre de comparaison, le vainqueur du tournoi de Wimbledon en 2019 a remporté 2,9 millions de dollars. La même année, le joueur américain Kyle Giersdorf, âgé de seulement 16 ans, remporte le titre de champion du monde du jeu Fortnite et la somme de 3 millions de dollars.