8 FÉVRIER 2019

RECONQUÉRIR LES JEUNES
ET RÉENCHANTER LA MONTAGNE


Alors que la France dispose de domaines skiables internationalement reconnus, le développement du ski, et plus globalement de la montagne, doit faire face à de nouveaux enjeux : renouvellement générationnel, réchauffement climatique, concurrence internationale, nouveaux modes de consommation, essoufflement du modèle économique…





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À propos


Dans un contexte où la fréquentation des sports d’hiver tend à décliner chaque année en France, l’UCPA s’inquiète des menaces qui pèsent sur l’accessibilité de la montagne à tous les publics et en particulier aux jeunes. En 20 ans, de 1995 à 2015, les jeunes âgés de 9 à 25 ans présents sur les pistes sont passés de 20% à 14%. Victime de son coût, du fort déclin des classes de neige et de la concurrence d’autres activités, la pratique du ski recule chez les jeunes. Qu’en est-il de la fréquentation estivale de la montagne ?

À l'occasion de l'inauguration du village sportif UCPA de Valloire, jeudi 13 décembre 2018, l'UCPA a convié des acteurs de la montagne à interroger le modèle de développement des stations en France et à répondre à une question récurrente : la montagne peut-elle encore séduire les jeunes ?


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MIEUX COMPRENDRE LA Clientèle


Laurent VANAT, expert international du marché du ski, le confirme, au niveau international, personne n’a trouvé la recette magique. On n’a pas un endroit où on est les champions du monde, on ne l’est pas en France mais pas ailleurs non plus. Chacun a trouvé des bonnes choses à faire et chacun a d’autres problèmes. En Europe, cela ne fait que dix ans à peu près qu’on a des statistiques sur la fréquentation des stations de ski. Pendant cinq ans, on n’a pas trop voulu voir les chiffres et maintenant cela fait cinq ans qu’on commence à dire que cela baisse chaque année.

L’excuse du mauvais enneigement ou des vacances mal placées ne tient plus la route car c’est la même chose à chaque fois, même quand l’enneigement est bon.

Dans le palmarès des journées-skieurs, il y a trois pays dans le monde qui font plus que 50 millions de journées-skieurs : la France, l’Autriche, les États-Unis. Et, selon les conditions d’une saison et d’une autre, c’est l’un ou l’autre qui devient le premier, et la France n’a pas la palme d’être toujours la première. D’ailleurs, la France ne l’a été que cinq fois.

Les skieurs internationaux, il y en a très peu.

On a à peu près 130 millions de skieurs dans le monde, et on n’a que 15 millions de skieurs dits internationaux, c’est-à-dire des skieurs qui vont skier dans un autre pays. Donc, tout d’abord le ski est essentiellement domestique. On n’a que deux pays dans le monde qui vivent davantage du ski des étrangers que de leur clientèle domestique. C’est Andorre bien sûr parce qu’avec 80 000 habitants, ils auraient de la peine à faire les 2 millions de journées-skieurs, et c’est l’Autriche avec 66 % de clientèle étrangère. Mais autrement, tous les autres pays du monde, y compris la Suisse font plus de journées-skieurs avec leur clientèle domestique qu’avec la clientèle étrangère. C’est donc un peu une fable de penser qu’il y a des dizaines et des dizaines de millions de gens qui n’attendent que de prendre l’avion pour venir atterrir et skier dans nos stations.



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TRANSMETTRE LA CULTURE DU SKI


Christian GRANGE, conseiller départemental de la Savoie

rappelle que sur le département de la Savoie, un constat a été fait il y a sept ou huit ans que la moitié des jeunes Savoyards aux portes des stations ne skiaient pas. Le département de la Savoie a donc essayé d’emmener les collégiens faire du ski et découvrir ce sport à leurs portes. Le Plan Neige, avec les classes de neige qu’on a tous connues, a fait découvrir la montagne à de nombreux jeunes Français. Les collectivités, qui participaient aux déplacements scolaires, ont aujourd’hui un peu moins de moyens. On a de moins en moins de classes de découverte. C’est dommage car, on voit de nombreux adultes revenir dix ou quinze ans plus tard quand ils sont installés avec leurs familles, en disant qu’ils sont venus en classe de neige et qu’ils reviennent au ski.

pour Laurent VANAT, expert international du marché du ski

il y a un problème français mais qui est aussi un problème dans tout le monde occidental du ski, c’est que parmi les jeunes générations en France et dans toute l’Europe, 50 % sont issus de l’immigration. Traditionnellement, les parents apprenaient le ski à leurs enfants. Ces générations de l’immigration n’ont pas des parents qui peuvent leur apprendre à skier. On a donc un problème majeur dans la transmission du ski qui rend encore plus important le fait d’avoir des classes de neige qu’on a justement supprimées.



FACILITER L'EXPÉRIENCE DU DÉBUTANT


Laurent VANAT explique que le taux de conversion des débutants est extrêmement faible, c’est même choquant : 86 % des débutants qui viennent dans une station, la première expérience, c’est terrible, ils disent qu’ils ne reviennent plus skier. Ce n’est pas forcément uniquement le fait d’avoir été sur les skis, c’est simplement l’expérience générale de la station parce que c’était trop compliqué de garer la voiture d’un côté, de chercher le matériel de ski de l’autre, de ne pas savoir comment utiliser le matériel de ski, bref, cela peut être toutes sortes de raisons.

Forts de ce conseil, ils ont essayé d’améliorer l’expérience des débutants, de faire des packages qui rendent le ski plus abordable pour les débutants. Si on peut acheter un package avec trois jours qui permettront d’apprendre, avec le forfait et la location de ski.

Ils ont aussi essayé de changer des pratiques d’apprentissage pour que l’on arrive à apprendre plus vite, plus facilement. C’est sûr qu’on ne va pas maîtriser la technique du ski en deux heures, mais si en deux heures de temps on arrive à donner la satisfaction à quelqu’un d’avoir fait une petite descente, trois virages sans être tombé sur le derrière, cela lui donnera envie de revenir, tandis que s’il est tombé vingt-cinq fois par terre sans même avancer, il n’aura sûrement pas envie de revenir. Ils ont donc essayé d’accompagner le débutant dans son parcours petit à petit. En Chine, on consomme le ski généralement par deux heures ou quatre heures.

Le débutant arrive et a son package complet, ses vêtements, ses skis, ses chaussures etc.

J’ai vu dans des endroits, cela se passe dans un grand hall où tous les différents guichets sont regroupés, et le moniteur attend les clients à la sortie de la caisse pour les accompagner tout au long du parcours pour toucher leur matériel, et, une fois prêts, ils vont sur les pistes.




Le dispositif Les apprentis font du ski


L'UCPA et l'ANDSA s'associent pour permettre à des jeunes en apprentissage de découvrir la montagne.


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DIVERSIFIER LES ACTIVITÉS À LA MONTAGNE

On s’aperçoit aussi que les gens ne skient plus toute la journée, et beaucoup d’activités ont été créées dans les stations de ski de manière à pouvoir répondre à cette clientèle.

Lionel FLASSEUR, directeur général d'Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme 

rappelle qu’il y a deux enjeux majeurs : le renouvellement des clientèles et la désaisonnalisation, ou en tout cas la montagne en toutes saisons. En fin de compte, les thèmes sont complètement liés. Nous-mêmes, on commençait à faire l’erreur de vouloir séparer la manière de traiter, alors que peut-être il faut traiter en priorité les jeunes, les faire venir l’été, pour faire en sorte qu’ils puissent après venir l’hiver. Si un certain nombre de freins sont très concrets, que l’on peut voir et dont on a discuté, qui est le contre-exemple de ce que souhaite développer l’UCPA, à savoir l’accessibilité, on sait aussi que les sports d’hiver peuvent avoir un frein au niveau du prix par rapport à une clientèle qui ne peut pas se le permettre, mais qui peut venir sur d’autres saisons, notamment l’été où il y a un avantage concurrentiel sur le prix, pour faire en sorte qu’ils puissent riper peu à peu sur la saison d’hiver. On sait très bien que des jeunes qui ne viendraient pas pratiquer le ski, ont très peu de chances de s’y mettre, de pousser leurs enfants à s’y mettre. À dix ou quinze ans, les enjeux sont majeurs.

Michel BOUVARD, membre honoraire du Parlement, vice-président du conseil départemental de la Savoie

Après, il y a le sujet de la diversification de l’activité des stations. À Valcartier au Canada, il y a le truc ludique l’été, et puis il y a le truc ludique l’hiver. Des pratiques ludiques qui peuvent aussi cohabiter et se glisser dans des stations où vous pouvez avoir des escape-games pour occuper du temps après, ou bien du virtuel etc. Les très grandes stations vont pouvoir assumer les coûts de la diversification, ou bien vont trouver les partenaires privés qui vont venir faire ces équipements parce qu’ils y trouveront un retour commercial. Et, sur des stations plus petites et plus moyennes, l’enjeu est évidemment plus complexe et c’est là que la collectivité doit accompagner. Qui aurait pensé il y a dix ans que l’on pouvait gagner de l’argent avec la luge ? Je peux vous dire, la luge à Val Tho, c’est l’administrateur de la Setam qui parle, c’est une pépite en termes de rentabilité. Même les luges sur rail, ça fonctionne !



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DÉVELOPPER UN IMAGINAIRE ET UN LIFESTYLE DE LA MONTAGNE


Pour Anne GALLIENNE, co-fondatrice de l'agence Poprock, il y a donc cette fameuse histoire de transmission qui fait qu’on a beaucoup de gens qui viennent ici tout simplement parce que leurs parents les ont emmenés et qu’ils ont une histoire. Après, il y a un deuxième moteur qui est parfois la tendance et la mode. On a fait une étude de six mois sur le sujet en essayant de comprendre quelles étaient les valeurs qui parlaient à des moins de vingt-cinq ans. Effectivement, dans la montagne, il y en a plein.

On s’est rendu compte notamment qu’il fallait plus leur parler « d’action sport » (terme anglais), c’est-à-dire du sport d’action, du sport à sensation. Pour eux, la montagne, c’est du rafting, du parapente, c’est le monde de l’action sport, ce n’est pas que le monde du ski.

La complexité d’emmener les jeunes à la montagne est un fait. Et, la question que l’on s’est posée, c’est comment ramener la montagne en ville. Il y a des petites stations sur lesquelles il faut qu’on investisse telles que Col de porte ou Revard, qui sont à moins d’une demi-heure de bassins urbains.

Aujourd’hui, 60 % de la population mondiale habite en ville. Ils sont dans du loisir d’immédiateté.

Ce jeune, il faut lui proposer une heure et demie ou deux heures sur un format ludique et à côté lui proposer le tir à la carabine. J’ai vu l’autre jour des gosses à Annecy faire du biathlon, je vous assure que c’est un truc de fou. Ce sport a un avenir de dingue, et j’ai compris pourquoi (je crois), c’est qu’il est très proche des jeux vidéo.




Les séjours biathlon


Les enfants témoignent de leur expérience en stage de biathlon.


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CRÉER DES ZONES REFUGES POUR LES JEUNES


Pour Anne GALLIENNE

on a besoin de réinventer ces lieux de pratiques pour ces jeunes : les lieux où je peux faire du sport et les lieux où je peux retrouver mes pairs. Les lieux en montagne où l’on peut leur aménager ces fameux espaces communs. C’est ce que certains hébergeurs sont en train de faire, pour jouer au billard, au baby-foot, regarder leur iPhone (parce qu’il faut savoir que quand ils regardent leur iPhone, ils sont ensemble), etc. Aujourd’hui, un snowpark est un lieu de rassemblement. Le refuge est un atout exceptionnel à la montagne. Pour le coup, ils adorent les feux de camp, l’image du couteau suisse et du sac à dos, c’est très nord-américain mais c’est super intéressant, notamment les refuges. Peut-être que l’on peut recréer des choses que l’on voit dans les refuges. Ce que j’aime dans un refuge, c’est le plat commun, le plat partagé. Ce sont des choses que l’on voit beaucoup dans les auberges de jeunesse de montagne qui sont en train de réinventer le plat commun, à manger des nouilles ensemble.

Nicolas RAYNAUD, président de la FFCAM,

observe une très forte croissance à deux chiffres sur les jeunes de moins de vingt-cinq ans depuis maintenant une dizaine d’années. La montagne n’est donc pas du tout désaffectée. Sur la question des refuges, les nuitées en refuge progressent. Les pratiques évoluent, et d’ailleurs ce n’est pas nous qui les faisons évoluer, ce sont les pratiquants qui les inventent, ils n’ont pas besoin de nous pour le faire. Autour de l’expérience refuge, en particulier sur les jeunes, on trouve deux thématiques que vous avez très bien identifiées et que j’identifie dans mon quotidien, ce qui intéresse les jeunes, c’est le sentiment de rareté lié à l’émerveillement. Et, dans le sentiment de rareté, il y a une composante très importante chez les jeunes, c’est l’esthétisme. Ils aiment vivre ensemble et partager leurs expériences avec leurs pairs.





50%

Des jeunes

Savoyards aux portes des stations ne skient pas



60%

De la population

mondiale habite en ville



86%

Des débutants

trouvent leur 1ère expérience terrible et ne souhaitent pas revenir


FAVORISER LE DÉPART EN ALLÉGEANT LA LÉGISLATION SUR L’ACCUEIL DU PUBLIC


Pour Michel BOUVARD, le problème, c’est la mise aux normes. Évidemment, quand vous êtes une commune et que votre bâtiment est loin, et qu’il y a des demandes du citoyen de l’autre côté de la rue (comme on dit), vous avez plus de chance de traiter la demande qui est de l’autre côté de la rue que celle qui est à 600 km, et qui ne concerne en plus qu’une partie de la population. Ce que l’UCPA a fait de manière très intelligente avec sa foncière pour externaliser les murs, trouver des partenaires pour faire de la rénovation, cela peut se faire aussi avec des collectivités publiques. Combien de collectivités publiques ont fermé des centres à la montagne ? Il faut des équipements mais il faut aussi la diffusion, la sensibilisation, celle des parents sur ce que cela peut apporter à un enfant de partir en collectivité, d’avoir une découverte d’un milieu qu’il ne connaît pas, de partir avec ses copains. 

Cela fait partie de l’éducation. Mais il faut communiquer sur le fait que les séjours ne sont pas uniquement toujours très chers. Il y a montagne et montagne.

Or, la vitrine de la montagne française aujourd’hui est faite de dix ou quinze très grandes stations réputées coûteuses qui surlignent le fait que la destination est chère… ! Mais ce n’est pas vrai partout ! Vous pouvez avoir, à l’UCPA mais aussi dans des petites stations, des séjours accessibles.

Alain CHRISTNACHT, président du groupe associatif UCPA

Sur les normes, j’ai envie de dire que, peut-être de manière un peu brutale, quand on pratique un sport, on peut avoir un accident de sport. Quand on ne pratique aucun sport, on est sûr d’être malade. Il y a donc un équilibre à trouver entre principe de précaution et normes de sécurité. Il faut tout faire pour réduire le risque d’accident et aussi encourager la prise de responsabilité. Une chose m’a beaucoup marqué, j’ai fait des marathons, et, quand on fait des marathons en France, il faut un certificat médical, alors que quand on fait un marathon aux États-Unis, on vous demande de signer une décharge. Les réglementations de ski, c’est un élément tout à fait essentiel, pour lesquelles on investit surtout dans la formation des encadrants et dans la responsabilisation des skieurs. On a par exemple un produit qui fonctionne très bien avec les adolescents (à partir de 16-17 ans) qu’on appelle « Pure Action », où ils sont autonomes, peuvent faire des sorties autonomes mais avec un cahier des charges très précis : on vérifie leur niveau, on regarde très précisément ce qu’ils vont faire, on leur donne les conseils.



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Alain CHRISTNACHT

Je ne crois pas à la catégorie unique des jeunes. Elle est diverse en pouvoir d’achat, en inspiration etc. Il faut faire revivre un imaginaire et réenchanter la montagne au sens du charme, et donc donner à rêver aussi. Il y a différentes catégories de jeunes socialement, il y a aussi différentes catégories de jeunes dans leur rapport au sport. Sans être maso et vouloir souffrir, il y a quand même toujours des jeunes qui aiment bien les efforts et qui ne veulent pas nécessairement être dans le cocooning permanent. Il faut donc essayer de répondre à ces différentes clientèles et aspirations. Nous, on essaie de faire en sorte que les jeunes qui ont envie de passer des vacances sportives, cela ne veut pas dire qu’ils sont obsédés par la performance sportive, mais qu’ils ont quand même envie de faire du sport. On essaie de faire en sorte qu’ils soient bien, et même s’ils n’ont pas des ressources financières importantes, qu’ils puissent en faire. On a donc inventé différentes formules comme Happy Winter pour les jeunes entre 18 et 25 ans, de manière à faire en sorte que les gens ne soient pas empêchés de faire le ski dont ils rêvent pour des raisons financières. Mais, ce n’est pas la réponse unique. Il faut proposer différents types d’activités de neige, d’activités sportives et différents types de sport à la montagne.